Farore Zéphyr

Histoire

Je ne pense pas qu'ils se soient lancés à ma recherche. De toute manière il est trop tard..
Après quelques heures de marche et de course, je décide de prendre un peu de repos. Je veux prendre le plus de distance possible. Une légère douleur subsiste encore finalement, mais je suis en vie... et libre. C'est une deuxième chance qui m'est offerte.
Tant de possibilités s'offrent à moi que je ne sais par où commencer. Malheureusement, je ne connais pas grand chose d'Edälia. Au fond, ça n'a aucune importance. Le sourire aux lèvres,
je sors enfin de la forêt.


Je suis né non loin des marécages abandonnés, au nord du temple de l'ombre. Mes parents, des chasseurs cueilleurs qui vivaient de leurs prises , m'ont éduqué avec rigueur et fermeté. Je n'ai jamais pu lire sur leur visage la moindre expression de tendresse à mon égard, mais jamais je n'ai pensé que cela pouvait être un mal.
Jusqu'à mes 11 ans, je n'ai connu que mes parents et mon chien, Rolf, qui était certainement l'un des plus teigneux et des plus agressifs de toutes les espèces canines du continent.
Ils m'ont appris à lire, à écrire, à compter. Bref, toutes les choses basiques que l'on enseigne au cours élémentaire, d'après leurs dires. J'ai aussi été initié à des notions de biologie, de botanique, de pistage, de chasse et de cueillette.

Je me complaisais dans cette existence tranquille, malgré l'absence totale de discussions avec mes parents, qui ne daignaient m'adresser la parole que lorsqu'ils voulaient m'apprendre quelque chose.
Une vie dans laquelle j'avais trouvé mes repères...
Jusqu'au jour de sa rencontre.


Le jour de mon 11ème anniversaire, un homme vint frapper à notre porte. Mes parents n'étaient visiblement pas surpris de voir une personne dans ce lieu dénué de présence humaine. Mes parents lui ouvrirent sans un mot. Ils s'attablèrent et se fixèrent de longues secondes qui me parurent des heures. Finalement, l'étranger entama la conversation:

"Est-il prêt?"

Sa voix rocailleuse résonna dans les tréfonds de mon âme.
Que nous voulait-il? De qui ou de quoi pouvait-il parler?

"Oui. Je pense qu'il fera un bon assassin."

Un assassin... D'après les souvenirs de mes différentes lectures, il s'agit de tueurs d'élite qui abattent une cible contre de l'argent.
Je me demande bien qui pourrait vouloir en devenir un. Et aussi, pourquoi mon père parle t-il de cela comme si cela pouvait être une fierté?

"Fils, il est temps pour toi de partir."


Il proféra ces paroles sans aucune émotion. Je suis sûr d'avoir entendu, mais je ne réagis pas, je ne comprends pas. Moi, un futur assassin? Un tueur? Un homme de l'ombre? Je me fige. Je suis incapable de bouger.

"Bon, je n'ai pas de temps à perdre."

A ces mots, je sentis mon corps se soulever, comme si je n'étais pas plus lourd qu'une plume. L'homme m'avait mis sur son épaule, comme si je n'étais qu'un vulgaire sac que l'on transporte. Je hurle, je pleure, je supplie l'homme de me reposer.
Puis plus rien.


"Petit. On est arrivés."

Une heure, un jour, une semaine? Je ne saurais dire combien de temps j'ai passé sur l'épaule de cet homme. Au fond, je pense que je m'en fiche.
Je me sens seul. J'ai mal.

"Alors qu'avons-nous là?"

Un vieil homme s'avance vers nous.

"Une nouvelle recrue comme tu peux le voir. Celui-là m'a donné du fil à retordre, j'ai dû l’assommer pour qu'il se tienne tranquille."

"Pose-le donc à terre, je vais voir ce que je peux en faire."

Le contact avec le sol est rude. Je vacille. Mes muscles n'ont pas été sollicités depuis trop longtemps.


"Jeune homme, viens donc avec moi."


Sans chercher plus d'explications, je suis cet homme au ton neutre qui se dirige vers ce qui semble être une tour. En d'autres circonstances, j'aurai sans doute été émerveillé par ce chef-d’œuvre d'architecture. Mais pas dans le cas présent.

Nous entrons donc dans le bâtiment. Le lieu est sombre, la pièce est immense, il n'y a rien d'autre qu'une table et une chaise en plein milieu et des escaliers sur le côté.

"Voici mon bureau."

Le vieillard s'installe puis me fait signe d'approcher.

"Tu te poses sans doute beaucoup de questions je me trompe?
C'est bien normal, nous avons tous été à ta place un jour.
Tu es libre de me les poser avant que je ne te fasse visiter les locaux."

Ma voix me revient peu à peu. Tentant une première prise de parole, je ne peux que bredouiller des mots inintelligibles.
Je refais une tentative.

"Pourquoi suis-je ici?"

Je vis sur son visage une légère expression de surprise.

"N'est-ce pas évident? Pour devenir un assassin bien sûr."


"Et si... je ne souhaite pas en devenir un, je peux rentrer chez moi?

"J'ai bien peur, mon jeune ami, que tu ne saisisses pas la situation.Tu ne possèdes aucune maison, aucune famille, aucun lien. Tes parents sont des assassins. Ils t'ont élevé à l'écart de toute civilisation pour que tu sois prêt pour ce jour. Tu as été uniquement conçu pour faire perdurer notre clan."

"Vous mentez."

"Effectivement, il est facile d'imaginer que je ne suis qu’un vieux fou sénile, mais malheureusement pour toi, c'est la vérité. En guise de preuve, je vais te poser une question. Rien de difficile, rassure-toi! Mais sache une chose: si tu arrives à y répondre, tu seras libre d'aller où bon te semble. En revanche, si tu n'y parviens pas, tu devras effectuer ta formation d'assassin sans discuter et admettre que tous mes propos sont la stricte vérité."

Je vis dans cette question une échappatoire possible.

"Quelle est donc cette question?"

Le vieil homme me fixa une longue minute, un air satisfait sur son visage, comme si mon destin était déjà scellé.


"Quel est ton nom?"



Au sommet de la tour, j'observe l'horizon. Je distingue les marécages. Ils me paraissaient si loin à l'époque. Je n'aurais jamais pensé qu'une seule heure de marche serait suffisante pour les atteindre. Je descends enfin de mon perchoir, il faut que je rejoigne les autres.
Encore une réunion...
Ca ne m'enchante pas vraiment, mais ne pas y aller serait un manque de respect difficilement excusable.
Je descends les escaliers jusqu'au quatrième étage. Devant la porte, le colosse est encore et toujours à son poste.


"Pièce d'identité."

Encore et toujours la même réplique...
J'ouvre brièvement le haut de ma chemise.

"Tu peux entrer."

Laisse-moi rire... Une marque que l'on nous appose au fer rouge sur le torse le jour de nos 11 ans, c'est ce qu'ils appellent une pièce d'identité?
En entrant, je constate que tout le monde est déjà arrivé.
Je peux sentir le regard froid du doyen se poser sur moi.

Je balaie la salle du regard. Rien de bien original, comme d'habitude. Deux tables se faisant face avec dix places pour chacune d'elles. Le doyen, quant à lui, est assis au fond de la pièce de manière à garder un oeil sur chacun d'entre nous.
Je m'installe à ma place. Il s'éclaircit la voix.

"Nous voici enfin au complet. Je remarque que malgré les années qui passent, certains n’assimilent pas encore les règles élémentaires comme la ponctualité. Mais ne laissons pas ce petit imprévu gâcher l'évènement que nous allons bientôt célébrer.
Pendant huit années, vous avez reçu un enseignement complet pour devenir des assassins dignes de notre clan.
Furtivité, maniement des armes, maîtrise des poisons, combat au corps à corps, pistage, aucun de ces domaines ne vous est étranger.
Au terme de cette formation, seuls dix d'entre vous pourront devenir officiellement des assassins. Je vous expliquerai plus en détail les conditions de réussite au test final demain matin.
Nous nous donnons donc rendez-vous au lieu d'entraînement habituel.
Je ne tolèrerai aucun retard.
Mesdemoiselles, Messieurs, profitez bien de cette magnifique fin de journée."

Cet homme possède vraiment un sens de l'humour affligeant. Comment profiter lorsque l'on n'a le droit de sortir de la tour que pour les entraînements?

En plus, il ne nous a même pas informé sur la nature de l'épreuve.
Tu parles d'une réunion utile!
Ce sera sans doute un condensé de tous nos enseignements en une seule épreuve, rien de plus, rien de moins.
De toute manière, je ferai tout pour ne pas être sélectionné.

Je me suis toujours comporté de façon à ne recevoir aucune remarque sur mon absence d'ambition. Pas une seule protestation lors de nos entraînements au corps à corps, pas de refus lors de nos traques où j'ai dû abattre des animaux pour que mes maîtres soient satisfaits. Pourtant, je n'ai jamais pu me résoudre à faire ce genre de choses sans la moindre émotion. A l'époque, nous étions tous dans le même cas. Mais au cours des années, mes camarades changèrent peu à peu. Aujourd'hui, je ne vois en eux que des êtres progammés pour tuer leur cible sans le moindre scrupule.
Alors que moi, la simple idée de devoir tuer de sang-froid un autre être humain...

Bon, je dois arrêter de penser à tout ça. De toute manière, après mon échec au test, je resterai ici et je n'aurai pas à tuer qui que ce soit.

Ne sachant pas quoi faire de cette fin de journée, je décide finalement de me rendre au dortoir. Personne en vue. Les autres doivent être en train de se préparer pour demain.

Une fois installé sur mon lit, la torpeur me gagne.
Je perçois quelques bruits de fond: des bruits de pas, de légers chuchotements, je ne saurais dire si mon imagination a pris le pas sur le réel.


J'entrouvre les paupières. Tous les lits que j'avais vu vides en venant sont maintenant occupés. Il fait sombre.
Après quelques étirements, je me faufile hors de la pièce.
Le grand escalier est désert. Aucune nuisance sonore ne vient troubler le silence souverain.
Je remonte sur mon promontoire, au sommet de la tour.
Il est rare d'y croiser quelqu'un à cette heure.
C'est sans conteste le seul endroit agréable que nous pouvons fréquenter librement.
Les heures passent. L'aube chasse peu à peu l'obscurité.
Il est temps d'y aller.

«Dois-je l'achever?»

«Non c'est inutile, il n'en a plus pour longtemps. De plus, nous avons la cérémonie à organiser. Partons.»

Gisant sur le sol, le corps mutilé par une plaie béante, je sens peu à peu mon corps s'engourdir et ma vision se troubler.
A côté de moi, le cadavre des neuf autres victimes de ce carnage.
Un combat à mort. C'était donc ça, la dernière épreuve..
10 gagnants , 10 perdants. La vie ou la mort.

J'entends des voix qui se font de plus en plus lointaines.
Je n'étais décidément pas fait pour être assassin. Le combat fut expéditif. Je ne pouvais me résoudre à tuer l'un de mes camarades. Peu importe l'absence de liens, le meurtre est et demeurera pour moi l'apanage des bêtes.
Mais cet avis était loin d'être partagé par mon adversaire qui n'hésita pas à me blesser mortellement.
La main sur ma blessure, je réalise qu'il ne me reste que peu de temps.
Je ferme les yeux, tentant d'oublier cette atroce douleur.
Les minutes passent et le silence se fait pesant. Ca ne finira donc jamais ?
Le soleil tape de plus en plus fort, mais sa chaleur est douce et agréable. J'ouvre les yeux pour voir une dernière fois les rayons de cet astre majestueux
Avec stupeur, je m'aperçois que celui-ci est caché derrière les nuages.
Mais d'où peut venir cette lumière?
Je regarde autour de moi et je constate avec étonnement que la source de ces rayons n'est autre que... ma main.
Je la mets face à mon visage pour pouvoir observer plus amplement ce phénomène fabuleux. La lumière disparaît.
Serait-ce une hallucination?
Je la repose, résigné finalement à rejoindre l'au-delà.
La lumière apparaît de nouveau. Impossible!
Je lève légèrement le tête et voit que cette lumière pénètre ma blessure. La douleur s'apaise, j'ai la nette impression que ma plaie se referme. Lentement certes, mais de manière anormale.
Pendant quelques minutes, j'admire le prodige s'accomplir.
La lumière s'égaille progressivement.

Ma plaie ensanglantée a laissé place à une cicatrice bien nette, mais la douleur n'a plus rien de comparable. Je ne ressens plus qu'une sensation désagréable et un léger picotement.
Je me lève prudemment. Je ne veux vraiment pas tout gâcher en rouvrant une blessure pareille.
Les miracles, ça n'arrive pas tous les jours après tout.
Je m'étire légèrement pour vérifier si je peux me permettre de bouger sans risques.
Lentement je commence à me diriger vers la direction opposée à cette tour dans laquelle j'ai vécu si longtemps reclus. Je ne veux plus rester une seconde de plus près d'ici.


Un paysage somptueux me fait maintenant face. Après tant de souffrance et de peine, le paradis ne me paraît plus si loin.
Un lac immense, une eau si claire et si pure... Jamais à la sortie de cette forêt je n'aurai pensé voir une chose pareille.
Au centre de cette immense étendue d'eau, une île immense sur laquelle il me semble apercevoir un château.
Je ne sais pas ce que j'y trouverai, mais ce sera ma destination.

Pendant plus de 2 heures, je m'efforce de faire une embarcation qui pourra me mener là-bas sans encombres.
Une fois sur mon radeau de fortune, je vérifie qu'il ne prenne pas l'eau et je m'élance vers ce lieu qui sera je l'espère, le commencement pour moi d'une nouvelle vie.
Et pour ce renouveau, il va me falloir ce qui m'a fait défaut depuis toujours. Une chose essentielle pour tout être qui veut exister pleinement dans ce monde. J'ai imaginé pendant longtemps quel serait le mien et je pense qu'il est grand temps pour moi aujourd'hui de l'utiliser.


«Zéphyr Farore. Ce sera mon nom désormais.»