Si Léandra s'était inscrite au tournois du festival de la réconciliation, ce n'était pas pour gagner. Bien sûr, elle aurait aimée connaître la victoire, mais elle savait pertinemment que beaucoup d'autres mages était meilleure qu'elle, elle qui ne connaissait que la télékinésie. Si il devait très certainement avoir des magiciens expérimentés d'inscrit, il devait avoir aussi des élèves, des élèves qui n'avaient probablement aucune chance de remporter cette compétition, et pourtant qui se sont inscrits. C'est bien car ce tournois est bien plus que la recherche d'une réussite. Chacun possède un objectif. Pour Léandra, l'objectif était triple:

Tout d'abord, l'envie toute simple de le faire. Elle avait besoin d'activités, de faire autre chose que des cours, de la musique, du dessin. Elle avait envie de voir comment elle pouvait se défendre face à quelqu'un d'autre, voir ce qu'elle était capable de faire, connaître ses limites, ses forces, ses faiblesses, mieux se connaître...

Mais aussi pour connaître Morrigan, son pouvoir. Elle avait besoin de s'entendre avec son don, c'était la meilleure chose à faire. Elle devait faire la paix avec son pouvoir, tenter de travailler avec elle. C'était l'un de ses objectifs aussi Si elle n'apprenait pas à coopérer avec ce qu'elle était...dans ce cas elle ne pourrait jamais vivre et mourir en paix.

Elle avait aussi envie de revivre. Depuis qu'elle a quittée le domaine de sa famille, elle a été considéré comme morte. Depuis que le décret n'existe plus, elle n'a pas cherché à "revenir d'entre les morts", et se disait même que si elle voulait devenir musicienne itinérante, il valait mieux pour elle de rester une entité aussi insignifiante qu'une autre...mais voilà un bon bout de temps qu'elle avait laissée ses rêves de coté pour ce concentrer sur son travail à l'académie, et elle s'y plaisait. Apprendre aux jeunes élèves, les voir étonnés, admiratifs, effrayés, curieux devant les diverses créatures qu'elle leur présentait lui apportait une grande joie. Partager une passion était quelque chose qu'elle adorait faire. Et elle n'avait plus besoin d'anonymat, et elle voulait récupérer ses titres. Elle a été éduquée pour être une duchesse, avait appris à ce comporter comme tel, à faire le job qu'elle devait faire, et elle ne pouvait plus mettre ça de coté. Sinon, son enfance n'aurait eu aucun sens.

Theyne Myalens?

Non, elle n'avait pas mal entendu. Il s'agissait bien du professeur d'esprit de l'académie d'Edälia, son collègue, mentor aussi. Voilà qui s’annonçait mal. Comment allait-elle gagner face à quelqu'un qui possédait son pouvoir et bien plus, le tout après de longues années d’entraînement? Elle ne pouvait pas se leurrer, cela ne se terminera pas comme elle l'avait pensée. De toute manière, elle avait une chance sur deux: tomber sur un élève et participer à un combat équitable, ou tomber sur un expert et faire de son mieux pour se battre avec honneur, avant de tomber. Apparemment, elle est tombé dans le deuxième scénario, et se retrouver en face-à-face avec Theyne ne l'amusait pas vraiment. Mais elle ne pouvait se retirer. Elle ne pouvait simplement se retirer devant le moindre problème.

C'est ainsi qu'elle décida de rentrer dans le lieu de la bataille. Marchant lentement, regardant devant elle. Et voilà Theyne, face à elle, le regardant profondément.

Vous ne pouvez gagner et le savez bien. Abandonnez, il s'agit de la solution la plus simple. Je peux soigner vos blessures, mais vous n'avez pas à souffrir.

Était-ce... oui, c'était bien Theyne. Il avait communiqué ce message à Léandra par télépathie. Il avait l'air sûr de lui. Il était droit, la regardait avec un air autoritaire. Il semblait bien confiant. Ce n'était pas le Theyne compatissant qu'elle pensait qu'il était. Tout ça devait être un masque, un jeu pour éviter de lui dévoiler ses vrais sentiment envers elle, elle était sûre.

La voix de Myrddin résonna dans l'arène, marquant le début de ce tournois bien inégal. Léandra regardait Theyne, qui restait droit, ne bougeant pas d'un cheveux. Elle allait s’apprêter à donner le premier coup, lorsque soudainement, à sa grande surprise, son violon apparu devant elle, ainsi que son archet. Ses deux instruments de musiques volaient autour d'elle, et l'archet semblait particulièrement agité. à quoi jouait-il? Il voulait la déstabiliser? La déconcentrer? En temps normal, il aurait fait quelque chose de plus offensif, du moins elle l'aurait cru. Peut-être qu'il ne voulait pas la blesser, trouver un moyen de la faire perdre sans qu'elle puisse se focaliser sur la bataille...Elle ne pouvait pas abandonner. Léandra n'ira nulle part dans la vie si elle lâche l'affaire devant la moindre difficulté. C'est ainsi qu'elle pensa fort dans sa tête, espérant que Theyne puisse entendre son message:

- Je préfère perdre en ayant fait de mon mieux que laisser tomber, cher collègue. C'est comme ça que l'on apprend.

Léandra ne savait pas si la télépathie pouvait marcher dans ce sens là, mais message reçu ou non, elle n'a fait que penser ce qu'elle pensait, rien de plus. Elle se décida donc à commencer cette bataille perdue d'avance.

Theyne réussit bien son coup: elle était troublée par ses instruments volant autour d'elle. Mais si elle arrêtait de penser à ça, elle pourrait se....mais oui.... voilà ce qu'elle devait faire. Arrêter de penser. Lorsqu'elle tente d'utiliser son don, cela donne des résultats modeste, mais elle avait déjà vu ce que pouvait faire son don lorsqu'il était libéré de son esprit, et le résultat était déjà bien plus satisfaisant. Léandra décida alors de détendre ses muscles contractés, de souffle un bon coup et de fermer les yeux.

Laissons Morrigan s'exprimer un peu.

Le sable qui se trouvait à proximité du professeur de l'esprit se leva et partit vers lui, comme poussé par un brusque courant d'air. Cela n'avait pas fait grand chose en effet, peut-être un peu de sable dans les yeux tout au plus, mais avoir fait partir le sable présenta une opportunité bien plus intéressante: quelque cailloux autour de lui, qui étaient enfouis jusqu'à maintenant. C'est ainsi qu'une dizaine de cailloux qui se trouvaient sur le sol furent soudainement jeté à la vitesse de lancé d'une fronde vers Theyne, sans crier gare, de derrière lui, devant lui, sur les cotés. D'une certaine manière, Léandra était sure que de simples cailloux n'allaient pas l'arrêter, mais c'était le mieux qu'elle pouvait faire, et si par miracle cela allait marcher, son attaque pouvait le blesser, ou au minimum l'occuper un petit instant.

Léandra fut un peu désemparée lorsqu'elle vit que sa stratégie fit mouche. Lorsqu'elle osa ouvrir les yeux, elle vit que chaque cailloux, qu'il soit lancé derrière Theyne, devant, au dessus, en dessous, sur les cotés, s'arrêtait presque devant le professeur élémentaire de l'esprit. Arrivait-il à stopper chaque cailloux en plein vol ? Peut-être que c'était ça, ou alors il avait fait une barrière, ou encore d'autres tours. Quoi qu'il en soit, son attaque ne fit rien. Léandra n'était toutefois pas surprise de ça. Après tout, elle combattait Theyne, et sa télékinésie ne valait presque rien face à la sienne. Cruelle destinée que celle des hommes, condamnés à être toujours surpassé par la puissance et l’expérience d'un grand nombre d'êtres intelligents à la durée de vie bien plus supérieure.

Depuis le début du combat, Theyne ne bougeait pas. Il semblait qu'il allait rester sur ses positions durant tout le tournois, tout simplement. S'être engagé dans le tournois devait être quelque chose de sérieux pour lui, au vu de son air. Ou alors peut-être qu'il n'aimait pas le comportement de la jeune femme, qui persistait malgré sa défaite inévitable, défaite qui ne tardait pas à venir.

Effectivement, alors que Léandra allait reprendre le contrôle de son corps pour voir ce qu'elle pouvait faire d'autre, ses muscles ne se contractaient plus. Plus elle attendait, plus l'effort à faire était dur. Elle se sentait bien, trop bien même. Sa volonté de continuer à s'embêter à combattre Theyne pour rien commençait à être dépassée par l'envie de se reposer. Cette envie continuait de croître, encore et encore, et les paupières de la professeure de créature devinrent lourd. Ce n'était pas normal, ce n'était pas naturel. À Tous les coups, cette envie soudaine provenait de la magie de Theyne. Il n'oserait pas ? La faire tomber au sol par un sort de sommeil ou quelque chose dans le genre. C'était presque humiliant. Quitte à perdre, elle préférait le faire avec au moins une blessure, une bosse, ne serais-ce qu'un bleu. Elle avait besoin de se battre. Elle ne se battait jamais, elle fuyait. Fuyait tout. Elle devait reprendre le contrôle, le contrôle des choses, de son pouvoir, de son rôle, de ses émotions. Sans le contrôle de sa vie, comment serait-elle heureuse ? Laisser aller ? Abandonner ? JAMAIS. Elle ne serait jamais forte si elle laissait tout tomber. Si Léandra ne se battait jamais pour ce qu'elle voulait, alors elle serait juste malheureuse toute sa vie, elle ne pouvait l'accepter.

Elle fit quelque pas en avant, se sentant de plus en plus lourde. Elle tendait une main avec les dernières forces qui lui restait

Theyne, espèce de sale....

Malgré toute sa fatigue, elle stoppa sa phrase et concentra toute son énergie, toute sa rage pour pouvoir écraser ce petit insecte, ce sale et misérable vermisseau, ce fils de chien qui entravait sa route vers ce qu'elle voulait. Avec les dernières forces qui lui restait, elle réussit à pousser Theyne de quelque centimètres sur le sable...et tomba au sol.

Déception... C'était une déception... une défaite cuisante. Elle ne s'attendait pas à plus, ni à moins. Si elle était au courant qu'elle n'allait jamais réussir, alors pourquoi s'était-elle inscrite ? Pourquoi au fond-d'elle, elle était tant énervée par la vérité, par quelque chose qu'elle attendait de pied ferme, et qui faisait quand-même mal ? Devait-elle continuer à se battre ? S'énerver face à la volonté des hommes, du monde, de la lune ? Devait-elle juste accepter son rôle de pantin, d'individu soumis à des règles tirés d'un contrat entre elle et le reste du monde qui n'existe même pas ? Pour l'instant, Léandra avait juste honte. Une grande honte. Non seulement honte d'avoir laissé la colère parler à la place d'elle, mais aussi à cause de ce tournois. Si elle avait été un peu moins idiote, elle serait restée à l'académie, à tenter de jouer du violon et échouer encore et encore, car la lassitude de cette défaite avait remplacé la douleur, contrairement à ce tournois qui lui avait été douloureux.

Elle se retrouvait dans l'arène, tout étant flou, brumeux. Devant elle, Theyne, et autour d'elle, la foule. C'était comme lors du cours de contrôle, une sorte de sommeil éveillé. Toutefois, tout était figé, et elle ne pouvait suivre en direct ce qui se passait. C'était d'ailleurs pour le mieux, elle ne voulait pas voir la réaction de Theyne et des spectateurs, alors qu'elle était allongée au sol. Elle se contenta de traverser les grilles, tel un fantôme, et tomber dans un coin de sa tête où tout était noir. Tournant le dos à l'arène, elle se recroquevilla sur elle-même, les bras enlaçant ses jambes, la tête sur ses genoux, regardant le vide. Une lumière commença à rayonner derrière-elle, et s'en est suivit une voix :

- J'ai...fais de mon mieux, je suis désolée.

Contrairement à la première fois où elle l'avait entendue, son ton n'était pas celle d'une personne brisée, mais celle d'une personne réellement désolée. Léandra ne savait pas si Morrigan lui en voulait toujours, et même si elle-même en voulait toujours à Morrigan. Tout était trop compliqué, et la jeune femme ne voulait plus réfléchir à rien. Sa lumière semblait au moins plus chaleureuse qu'avant. Elle ne pouvait pas en vouloir à Theyne, ni à Morrigan. Elle ne pouvait en vouloir qu'à elle-même. Léandra ne savait même pas sur quel sujet elle s'en voulait: s'être laissée battre de la sorte, ne pas avoir fait assez d'efforts, s'être inscrite au tournois, garder de l'espoir, perdre de l'espoir...

- Je sais, Morrigan...je sais...

Son don méritait de la reconnaissance, elle, au moins. Léandra... voulait juste disparaître dans ce monde des rêves et ne plus jamais revenir. Ici au moins, c'était calme, paisible, et personne n'attendait rien d'elle.