Emmitouflé dans un tissu satiné d'un rouge éclatant qui le couvrait du cou aux chevilles, le professeur de Feu à la l'Académie de magie d'Edälia Kelvig Mormin avançait d'un pas traînant dans les couloirs d'un des étages supérieurs de son lieu de travail. Ses cheveux brun mi-long flottaient paresseusement sur ses épaules, et un bouc soigneusement sculpté ornait son visage brut et anguleux.

Si son apparence n'avait rien de bien particulier pour les nouveaux élèves et les quelques visiteurs extérieurs à l'Académie (venus pour la plupart consulter l'immense bibliothèque magique, ou utiliser la Salle de la Sphère contre une compensation financière), les plus vétérans savaient déceler l’occurrence d'un problème majeur.

Lorsqu'il tourna à une intersection, le bruit de ses pas étouffé par de grosses bottes fourrées bien au delà du nécessaire, trois élèves de seconde et troisième années sursautèrent et, ayant posé les yeux sur lui, se précipitèrent dans une salle ouverte afin de ne pas croiser son chemin.

Le professeur Mormin affichait un visage plus renfrogné qu'à son habitude. Avec un reniflement agacé face au comportement des élèves, il resserra ce qui lui servait de cape autour de ses épaules et continua son chemin, les sourcils particulièrement agressifs.


Il poussa la porte de la salle des professeurs, quelques mots incompréhensibles marmonnés dans sa barde le rendant davantage antipathique, puis se laissa lourdement tomber dans un des fauteuils douillets.

Plusieurs de ses collègues lui jetèrent un regard surpris.

Kelvig Mormin ne marmonnait pas. Il grognait, parfois ; il criait, rarement mais systématiquement contre des élèves ; il soupirait d'agacement, souvent. Mais il ne marmonnait pas.

Alors que le nouveau professeur de l'Eau se levait de sa chaise pour s'enquérir de l'état de santé de son collègue (avant que ses homologues n'aient pu l'en empêcher ; le pauvre homme venait d'arriver, et ne connaissait pas encore les risques inhérents à une discussion avec son confrère du Feu), un petit éclat de lumière aveugla la pièce, et l'instant d'après le Directeur en personne se tenait là, souriant affectueusement derrière son immense barbe blanche.

« Ah ! Kelvig, mon garçon ! Comment ça s'est passé ? » fit le vieil homme en avançant vers le mage du Feu et en s'assoyant dans le fauteuil face à lui avec une agilité inquiétante pour son âge.

L'autre homme lui lança un regard noir en resserrant le tissu autour de lui.

« Vous êtes arrivé comment ? »

« Mais par la porte, voyons. V- » Myrddin s'immobilisa. « Mon cher Kelvig, sont-ce là les rideaux de vos appartements que vous portez en couverture ? »

Le garou haussa les épaules. « Le château est pas assez chauffé. Ça pèle comme un serpent en pleine mue, et pas moyen d'augmenter la température à moins de cramer ces friches. Donc j'ai fais avec les moyens du cailloux. »

Un professeur déglutit, au fond de la salle.

Il semblerait qu'un Kelvig énervé revenait à son patois de campagne ràvanite.

Mais Myrddin ne sembla pas s'en offusquer, lui souriant même avec affection.

« Allons allons, assez divergé, racontez-moi : qu'a-t-il dit ? »

« Rien du tout. Tout va bien. Ça ne se voit pas ? » répondit le redux-garou avec une pointe d'agressivité propre aux adolescents récalcitrants.

Une pause s'installa entre les deux hommes, et des observateurs extérieurs auraient pu penser que le vieil homme s'était vexé. Mais les professeurs présents savaient que le pauvre Kelvig Mormin venait tout simplement de s'attirer les faveurs de leur cher Directeur.

« Kelvig, mon ami, vous savez bien que je pourrais connaître le contenu de votre entretien par d'autres moyens, » dit le mage avec une lueur attendrie et paternaliste dans le regard. « Je vous le demande en toute honnêteté, alors s'il vous plaît, faites-moi au moins cette politesse. »

Kelvig bougonna quelques instants, puis poussa un long soupire avant de lâcher : « Apparemment, je fais une « dépression ». »

Tout la salle se figea.

Puis, aussi discrètement que possible, tous les professeurs sortirent de la pièce, une elfe à qui Kelvig n'avait jamais adressé la parole tirant le nouveau professeur de l'Eau par le bras.

« Oh, mon garçon, je suis désolé pour vous. »

L'absence de ses collègues sembla attaquer la retenue du garou, car il se redressa légèrement dans son fauteuil en haussant la voix.

« Vous êtes sûr qu'il était compétent, votre « psychomage », là ? J'ai jamais entendu parler de cette profession. Et très honnêtement, j'ai pas l'impression qu'il y connaisse grand chose. Je suis un être de feu, c'est normal que j'ai une basse pression. »

« Que vous a-t-il prescrit ? »

« Des conneries. »

Un silence s'installa entre eux.

« Oui, bon, pardon. Il m'a dit : « Trouvez-vous une activité positive et un animal de compagnie. » Comme si boire n'était pas une activité positive. Et que voulez-vous que je fasse d'un animal de compagnie ?! J'ai déjà bien assez à faire avec Osrod qui me suit partout. »

Ne semblant pas avoir entendu son subordonné, le vieil visage du vieil homme s'illumina alors et il se leva énergiquement.

« Très bonne idée, excellente, même. Vous trouverez sûrement un gentil compagnon dans le quartier commerçant, en ville. Voilà qui est parfait ! Oh, je parle d'un animal, bien sûr, pas d'un-. Enfin, chacun est libre de ses choix, ce n'est pas la question. »

« Pardon ? » fit l'homme d'un ton de nouveau blasé, son emportement semblait s'être envolé.

« Profitez-en pour vous acheter des vêtements plus chauds, si vous le souhaitez ! Utilisez la Sphère du Port, vous n'aurez pas à retraverser le lac en patin à glace. Oh, et amenez notre cher Shisui avec vous, voulez-vous ? Il a évoqué avoir une course à faire. »

« M-Mais je... »

« Oui, je sais bien que les températures hivernales vous mettent mal à l'aise, mais c'est pour la bonne cause ! Voulez-vous ma pipe contre les ballades dans le blizzard ? »

« N-Non, mais ... »

« Parfait ! Je compte sur vous ! Ne vous inquiétez pas, mon garçon, vous irez vite mieux. A présent, pardonnez-moi mais je dois vous laisser. J'ai malencontreusement laissé du lait sur le feu. »

« Quoi ? »

Mais à peine avait-il eu le temps de se lever que le vieil homme s'était enfermé dans un placard, et avait disparu.

Kelvig se laissa retomber lourdement dans son fauteuil.

Génial. Une sortie dans le froid, dans la neige, dans un quartier puant et pleins de gens, accompagné d'un dragon des glaces. Ma journée ne pouvait pas être pire.

La porte s'ouvrit derrière lui, et une voix guillerette s'éleva dans la pièce : « Myrddichoux, vous êtes là ? j'ai votre commande de la part de Kellog ! Il est encore tout chaud du four ! Ah par contre faites attention en croquant dedans, je crois que j'y ai laissé un doigt en découpant les ananas ... Myrddin ? Oh, Kelvig, c'est toi !! »

Sa tête retomba lourdement sur le dossier du fauteuil.

Je n'ai rien dis ...

Prochaine étape : trouver le dragon de malheur et se transporter jusqu'au quartier marchand d'Edälis le plus rapidement possible pour échapper à la peste qui venait d’envahir son espace vital.